Volume de la banquise arctique: 3e minimum record consécutif

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De nos jours en Arctique, les records se succèdent à un rythme impressionnant.  Le record du volume minimum de la banquise a de nouveau été battu cette année, pour la 3e fois consécutive. Mais est-ce encore étonnant? Le record du volume minimum a maintenant été abaissé 8 fois cours des 10 dernières années. Le climat polaire est sur les stéroïdes.

Moins populaire que l’étendue, sa cousine 2D, le volume est pourtant un indicateur aussi fondamental. La face cachée de l’iceberg, en quelque sorte. À 3300 km3 cette année, le continent flottant n’est plus l’ombre de lui-même. Le volume estimé de la banquise polaire ne faisait plus en septembre que 26% des 12 500 km3 qu’il atteignait en moyenne pendant la période 1979-2011 (elle-même une période de déclin). Depuis quelques années, le volume maximum hivernal n’atteint même plus le minimum estival normal.  Disons-le encore autrement: depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992, la banquise polaire a fondu du 3/4.

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Il faut noter que les données de volume sont plus difficiles à obtenir que celles de superficie, et que leur marge d’incertitude est plus grande. Le programme PIOMAS, du Polar Science Center de l’Université de Washington, est une des principales références en la matière.  Mais la qualité des données vient de faire un bond important avec la mise en service de CryoSat-2, le premier satellite dédié spécifiquement à l’épaisseur de la glace. Une autre mission de l’ESA, SMOS(vidéo), permet aussi d’obtenir de précieuses mesures.

Selon le PIOMAS, c’est environ 700 km3 de glace supplémentaire qui s’est liquéfié cette année au pôle nord, s’ajoutant aux 400 km3 perdus l’an dernier et aux impressionnants 2500 km3 de 2010 et 2007.  Si cette tendance plus rapide que prévue ne s’inverse pas très rapidement, et rien ne le laisse croire, la disparition complète de la banquise pourrait survenir avant 2020. Certains experts évoquent même 2016.  Ces hypothèses tranchent de manière surréaliste avec les projections conservatrices du GIEC, dont le rapport de 2007 évoquait encore l’horizon 2100, comme le rappelait récemment l’océanographe Louis Fortier dans une entrevue radiophonique.

La principale explication de cette discordance tient au fait que les complexités liées aux nombreux mécanismes de rétroaction à l’œuvre dans l’Arctique ne sont pas encore comprises de façon consensuelle par les chercheurs et, par prudence scientifique, leurs effets potentiels restent donc exclus des modélisations utilisées par le GIEC. Cette «prudence» est maintenant interrogé par un nombre grandissant d’observateurs.  Car si la prudence est une vertu dans le cadre pur de la méthode scientifique, il n’en est pas nécessairement de même dans un contexte de gestion de risque où l’avenir des sociétés est en jeu. Une recherche récente d’une équipe du MIT a ainsi évalué que la fonte de la banquise se produisait environ 4 fois plus rapidement que prévu par les modèles du rapport de 2007. Il n’est donc pas irréaliste de penser que la calotte polaire pourrait vraiment disparaître des décennies d’avance sur les projections officielles.  Imaginez la scène quand le président du GIEC se présentera au micro ce jour-là…

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Mais au-delà du débat sur la date, qui risque de nous faire perdre de vue l’essentiel, il reste que la fonte de la banquise dans l’horizon d’une vie humaine est maintenant une quasi-certitude. C’est d’une ampleur proprement géologique. Tout indique que nous avons maintenant franchi le point de non-retour.  Les conséquences d’un tel événement peuvent difficilement être surestimées, à la fois en terme symbolique, géopolitique et climatique. Physiquement parlant, c’est l’équivalent de faire passer le réchauffement global en mode turbo.  D’abord parce qu’en fondant, l’Arctique est en train de passer de la réflexion à l’accumulation d’énergie solaire. Le bilan radiatif d’une telle transformation est colossal. Seulement depuis 30 ans, l’énergie supplémentaire absorbée par l’océan en raison de la baisse de superficie de la banquise  équivaut, selon le glaciologue Peter Wadhams, à 20 ans d’émission de CO2 au taux actuel.

L’accumulation de toute cette énergie dans le système polaire, à laquelle s’ajoute toute celle amenée par les eaux réchauffées du Pacifique et de l’Atlantique, accélère elle-même d’autres réactions auto-amplificatrices, comme la fonte du pergélisol et le dégazage du méthane océanique. Le pergélisol et les plate-formes océaniques de l’océan Arctique contiennent des quantités gigantesques de méthane, un gaz à effet de serre plus puissant que le CO2, qui risquent de provoquer un emballement incontrôlé du climat si elles sont libérés dans l’atmosphère. La fonte de la banquise va aussi accélérer la fonte du Groenland et donc l’élévation du niveau de la mer.  Plusieurs pensent qu’elle perturbe déjà le courant-jet et les patrons atmosphériques de l’hémisphère Nord, expliquant en partie la série d’événements extrêmes des dernières années, causés principalement par des épisodes de blocage atmosphérique.  Et tout ça bien sûr sans parler des conséquences sur les écosystèmes et les communautés.

Après 45 millions d’années de règne, il semble aujourd’hui que le temps de la calotte polaire arctique tire à sa fin.  Bienvenue dans l’anthropocène.

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N_stddev_timeseriesImpossible de passer à côté de ce qui fait le « buzz » en cette fin d’année, le 21 décembre et son scénario non fondé de fin du monde. Pour les mordus de culture Maya, je vous recommande d’ailleurs cette réalisation du CNRS qui explique en détail pourquoi il ne se passera rien ce 21 décembre 2012. Si ce n’est pas encore assez pour vous, à vous de faire chauffer votre souris en visitant les nombreux articles se rapportant à la fin du monde sur le site de l’Agence Science-Presse.

Passons maintenant à quelque chose de plus sérieux et qui ne fait malheureusement pas les manchettes. Hier, le 18 décembre, le National Snow and Ice Data Center (NSIDC) situé à Boulder au Colorado a publié ses données les plus récentes sur l’étendue de la banquise en Arctique ainsi que ce graphique. Résultat, un record minimum de 3,4 millions de km2 atteint…

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Québec – été 2012 : les températures anormalement chaudes se poursuivent

Pour le bonheur des uns et le malheur des autres, nous avons eu droit à un été «extrêmement chaud» au Québec cette année, selon le bilan saisonnier de Climat-Québec.  Le mot extrême n’est pas choisi à la légère. Il implique que les températures se sont élevées au-delà de deux écarts-types de la normale, un événement se produisant théoriquement environ 2% du temps. Autrement dit, un été comme celui de 2012 se produit normalement une fois aux 50 ans.

Cette chaleur exceptionnelle est entre autres liée à un patron atmosphérique centré sur les plaines centrales américaines qui a dominé une bonne partie de la saison (et qui rappelle celui qui a généré la vague de chaleur historique de mars dernier). Juillet 2012 fut le mois le plus chaud de l’histoire des États-Unis, et à un certain moment, c’est près de 80% du territoire américain qui se trouvait en état de sécheresse. Chutant de plusieurs milliards de dollars, la production de grain a été gravement touchée, affectant même de façon quantifiable le produit intérieur brut du pays et contribuant à la hausse des prix mondiaux.

L’été 2012 au Québec succède ainsi à un printemps «très chaud» (une fois au 13 ans), à un hiver «très doux» (une fois au 13 ans) et à un automne «extrêmement chaud» (une fois au 50 ans).  Cette tendance correspond bien à ce qui est annoncé par les scientifiques du climat depuis plusieurs années: les températures anormalement chaudes sont en voie de devenir la nouvelle normale

Banquise arctique 2012: nouveau minimum historique

«Nous sommes maintenant en territoire inconnu» explique le directeur du National Snow and Ice Data Center américain (NSIDC) à propos de l’état actuel de l’Arctique. «Même si nous savons depuis longtemps que la Terre se réchauffe et que les premiers symptômes se manifesteraient de façon plus marquée en Arctique, peu d’entre nous avions anticipé des changements aussi rapides.» Après avoir fracassé des records en 2005, puis en 2007, la banquise a de nouveau fondu à un minimum historique cette année.  Les six plus petites banquises polaires de l’histoire ont maintenant été observées lors des six dernières années…

Diminuant sous la barre des 4 millions de km carrés pour la première fois depuis des milliers d’années, un seuil que la plupart des spécialistes ne croyaient pas voir de leur vivant, la banquise arctique 2012 a atteint son minima le 16 septembre dernier, diminuant jusqu’à 3,4M/km2.  Ce nouveau record pulvérise donc le record de 2007 par 18% (l’équivalent de retrancher près de 2s au record du 100m), ce dernier ayant lui-même pulvérisé celui de 2005 par 22%, ce qui avait déjà sidéré la communauté scientifique à l’époque.  La superficie de la banquise est donc actuellement près de 50% plus petite que la normale des années 1979-2000.

Banquise arctique au 16 septembre 2012, relativement à la normale des années 1979-2010

Il vaut la peine de rappeler que la blogosphère climato-négationniste se gargarisait en avril dernier de constater que la superficie de la banquise frôlait, ô miracle, la normale saisonnière des 30 dernières années. «Arctic recovery!» titraient-ils avec satisfaction.  On repassera pour le rétablissement…  Il est d’ailleurs remarquable que le record de 2007 ait été franchi après un tel début de saison et un été polaire plus frais que ceux de 2007 et 2005. L’explication la plus plausible est l’amincissement accéléré de la banquise, qui fond non seulement en superficie, mais aussi en épaisseur, ce qui la rend beaucoup moins résistante aux tempêtes. Des volumes minimum records ont été établis en 2010, puis en 2011. Il y a fort à parier que 2012 marquera une 3e année record consécutive à cet égard.

La spirale descendante de la banquise se poursuit donc de plus belle et le pôle nord est de moins en moins polaire. Plusieurs experts pensent que les impacts dépassent maintenant le cercle arctique et affectent directement nos latitudes.

Il fait chaud en Amérique

Si vous avez l’impression qu’il fait chaud cette année en Amérique, vous avez raison!  La plus grande partie du continent nord-américain affiche jusqu’ici des températures entre 3C° et 5°C  au-dessus de la normale (1970-2000, une période de référence qui inclut déjà le réchauffement du XXe siècle).  La température globale de l’année 2012 se classe quant à elle au 11e rang de l’histoire instrumentale jusqu’ici, selon les mesures de la NOAA.

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Nous appuyons sur l’accélérateur

Durant la décennie 1990-1999, qui vit la communauté scientifique avertir officiellement l’humanité à propos du réchauffement global, le taux de croissance des émissions de CO2 était de 1% par année. Ce fut la décennie la plus chaude de l’histoire instrumentale.

Durant la décennie 2000-2010, qui vit les académies nationales scientifiques du monde confirmer unanimement la réalité du réchauffement et l’ampleur des bouleversements à prévoir, ce taux de croissance triplait pour atteindre 3% par année, incluant la récession de 2009. Cette décennie fut à son tour la plus chaude de l’histoire.

Durant la première année de la décennie actuelle, 2010, le taux de croissance annuel a explosé pour atteindre 6%. Du jamais vu. 2010 fut l’année la plus chaude jamais enregistrée.

James Hansen: l’exploitation des sables bitumineux, c’est game over pour le climat

Dans le New-York Times du 9 mai dernier, le climatologue émérite et directeur à la NASA James Hansen a publié un texte lourd de conséquences s’il s’avère exact. Après avoir rappelé le potentiel d’émissions et de réchauffement des sables bitumineux, le scientifique soutient que leur exploitation à plein régime marquera un point de non-retour climatique dont les impacts seront dévastateurs. C’est pourquoi il implore le leadership du président des États-Unis dans le dossier Keystone, le pipeline devant relier l’Alberta au Texas.

« La science est claire sur la situation — il faut que maintenant que la politique suive. (…) Toutes les académie des sciences nationales du monde confirment que la Terre se réchauffe, que ce réchauffement est principalement causé par les êtres humains et que la situation commande une action urgente.  Le coût des impacts augmentent dramatiquement avec le temps qui passe — nous ne pouvons plus attendre plus longtemps si l’on veut éviter le pire et être jugés immoraux par les générations futures. »

Qu’en pensez-vous?

À propos de l’effet de serre

L’effet de serre. Aujourd’hui l’objet d’un enjeu qui interpelle l’humanité entière, l’expression est connue de tous et beaucoup en comprennent le principe général. À notre tour d’en glisser quelques mots.

En une phrase: l’effet de serre, c’est la faculté de notre atmosphère d’être transparente à la lumière du soleil, mais de retenir la chaleur dégagée par la Terre. Un peu comme une couverture permet de retenir notre chaleur corporelle près de nous, l’atmosphère recouvre la surface terrestre et la tient plus au chaud. Cette faculté est due aux fameux gaz à effet de serre que sont la vapeur d’eau, le gaz carbonique et le méthane. Sans eux, l’atmosphère serait transparente à la chaleur émise par la Terre et n’agirait plus comme une couverture: la température moyenne de la planète serait alors plus froide d’environ 33°C, soit -18°C plutôt que que 15°C…

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Entrer à l’intérieur d’une voiture longuement exposée au soleil d’été, vitres fermées, est une autre expérience évocatrice de l’effet de serre (plus commune aujourd’hui que d’entrer dans une véritable serre…). Les vitres laissant entrer l’énergie du soleil, mais retenant la chaleur dégagée par les sièges et autres surfaces réchauffées, l’air peut y être suffocant. Une autre analogie intéressante a été proposée il y a 150 ans par John Tyndall, un pionnier de la question.

Ces analogies ont toutefois leurs limites. Ainsi, bien qu »il soit vrai que les vitres d’une serre ou d’une voiture bloquent le rayonnement thermique sortant, il reste que c’est surtout leur effet «coupe vent», le fait qu’elles empêchent physiquement l’air chaud de s’envoler, qui explique leur efficacité à faire grimper la température. Avec ses multiples couches et modes d’échange d’énergie, l’atmosphère est bien plus complexe qu’une vitre ou une couverture. À la base, l’expression même du phénomène, « l’effet de serre », est donc une analogie plus ou moins exacte.

Une des caractéristiques importantes de l’effet de serre, c’est qu’il agit «par le bas», affectant d’abord et essentiellement les couches inférieures de l’atmosphère. La physique de l’effet de serre prévoit même que son intensification, en retenant plus de chaleur «en bas», entraîne temporairement une baisse de la température de la haute atmosphère. C’est exactement ce qui est observé actuellement:

L’effet de serre est un processus naturel dont la présence et l’intensité peut s’avérer aussi bien vitale que fatale pour les conditions d’habitabilité d’une planète. C’est une question d’équilibre. Vénus, la planète la plus chaude du système solaire, est un monde où l’effet de serre s’est emporté il y a bien longtemps. Son atmosphère, principalement composée de CO2, maintient une température de surface d’environ 460°C…  Pourtant, sans effet de serre et à albédo constant, la température moyenne de Vénus serait bien en-deçà du point de congélation!

En ayant augmenté le taux de CO2 atmosphérique de près de 40% depuis la révolution industrielle, et en continuant d’injecter, chaque jour, plus de 70 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, nous provoquons une intensification de l’effet de serre sur notre planète.

La fluidité de l’atmosphère

Suite au billet précédent sur les courants océaniques, nous juxtaposons ce lien vers une superbe visualisation des vents aux États-Unis. L’animation en temps réel illustre à merveille la fluidité de notre atmosphère (cliquez sur la carte pour la voir s’animer).

Animation vents temps réel
Beaucoup de cartes météorologiques plus standards mettent aussi en évidence la nature « liquide » de l’air dans lequel nous baignons et dont les courants créent météo et climat.  Les carte satellites montrant les concentrations en vapeur d’eau sont particulièrement éloquentes à cet égard. Voici comment se présente l’écoulement atmosphérique ce soir en Amérique:


Pour un spectacle encore plus long et hypnotisant, voici une animation de la météo au-dessus de l’Amérique du Nord sur l’ensemble de l’année 2011. Fascinant…  La séquence paraitra longue à plusieurs, mais avant de poursuivre votre chemin virtuel, nous vous suggérons tout de même de passer quelques secondes dans la 2e moitié du vidéo, afin de remarquer les différences entre le régime d’hiver et le régime d’été. Les «pulsations radars» créées par l’ensemble des orages de fin de journées et le passage de l’ouragan Irène sur la côte Est sont parmi les faits saillants.

Et en terminant, une perspective étonnante, centrée sur le pôle nord (cliquez sur la carte pour l’animation, plusieurs images à charger). Pour un résultat définitivement psychédélique, essayez le Water Vapor Enhanced Anim GIF !

La fluidité des océans

Le studio de visualisation scientifique de la NASA vient de réaliser une animation prodigieuse des courants océaniques de la Terre. Produite à partir de mesures réelles, la séquence transforme instantanément notre vision des océans.  Elle est d’une beauté renversante… Difficile de ne pas être hypnotisé par la fantastique danse des eaux de la planète mer! La scène s’ouvre au-dessus de l’Atlantique et met en vedette le fameux Gulf stream, puis les autres grands courants marins du monde. HD recommandée!

Merci à Guillaume pour le tuyau!  Une version de 20 minutes (!) est disponible pour téléchargement sur le site du SVS et ici sur You Tube (basse résolution).

Les océans constituent une composante majeure du système climatique. Ils absorbent entre autres la plus grande partie de l’énergie supplémentaire générée par l’intensification de l’effet de serre, soit l’équivalent d’environ 400 000 bombes atomiques par jour. (Hansen). Cette quantité fondamentale(0,6 W/m2) décrit le déséquilibre énergétique actuel de la Terre qui, jour après jour, absorbe plus d’énergie qu’elle n’en retourne vers l’espace.


Canicule martiennne : bilan provisoire

La plus incroyable vague de chaleur printanière de l’histoire du Canada et des États-Unis est maintenant chose du passé. L’anticyclone stationnaire à l’origine des températures extrêmes – relativement à la normale – qu’ont expérimentées le centre et l’est de l’Amérique du Nord la semaine dernière a fini par se dissiper. Il laisse derrière lui des statistiques ahurissantes et des conséquences naturelles qui continueront de se déployer au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Pour les millions de personnes qui les ont vécues, ces journées furent complètement surréalistes, nous transportant subitement de mars à juin. Les météorologues eux-mêmes n’ont eu d’autres choix que de se répandre en superlatifs.

Il existe un certain nombre de réponses à la question de savoir si l’on peut voir dans cet événement l’empreinte du réchauffement global. J’ai évoqué l’une d’entre elles dans un article précédent. Une autre réponse est offerte par Kevin Trenberth, climatologue senior au centre national de recherche atmosphérique des États-Unis (NCAR): « La réponse à cette question fréquente, est qu’il s’agit de la mauvaise question. Ainsi posée, elle n’appelle qu’une réponse incomplète et insatisfaisante. Mais si on veut lui offrir une réponse, la meilleure est la suivante: tous les événements météorologiques sont influencés par le réchauffement global parce que l’environnement dans lequel ils se produisent est aujourd’hui plus chaud et plus humide que par le passé. ». Chaque événement extrême est donc influencé à la fois par les facteurs de variabilité naturelle et par le réchauffement global.

Quelques faits divers hétéroclites à propos de ce phénomène météo historique:

Records:
– Depuis le début des archives météorologiques en Amérique, à la fin des années 1800, il n’y a jamais eu autant de records printaniers battus et par une aussi grosse marge et sur une aussi longue durée.

– Aux États-Unis seulement, plus de 7000 records de chaleur ont été battus depuis la mi-mars.

– Au Canada, des records de chaleur ont été battus de Winnipeg jusqu’à Halifax.

– La ville de St-Jean au Nouveau-Brunswick a enregistré 27,2°C le 21 mars dernier.  C’est près de 5°C plus chaud que la plus haute température jamais mesurée là-bas… au mois d’avril!

– À Chicago, la température moyenne de mars 2012 se qualifie actuellement comme la 7e plus chaude pour un mois d’avril…

– Toujours dans la ville des vents, le record quotidien de température maximale a été battu 9 jours d’affilé, un événement des plus exceptionnels.

– Dans le sud du Québec, la plupart des villes ont battus leurs records quotidiens historiques 5 jours de suite.

– Du jamais vu: à au moins 4 endroits, la température minimum du jour a battu le record de température maximum pour la même date (6,7°C). C’est le cas notamment du sommet du Mont Washington au New-Hampshire.

– Le 22 mars, il a fait 29,2°C à Western Head en Nouvelle-Écosse. Le 22 mars le plus chaud de l’histoire de la ville était jusqu’alors de 10,6°C!  Le record, et non pas la normale, a ainsi été dépassé de plus de 18°C…  Une telle marge a aussi été atteinte à Pellston, Michigan.  Dans le Québec méridional, les records ont été battus par une dizaine de degrés environ.

Citations de météorologues:
– André Cantin : « En 30 ans de carrière, je n’ai jamais vu ça ».

– Jeff Masters: « This is not the atmosphere I grew up with. The duration, areal size, and intensity of the Summer in March, 2012 heat wave are simply off-scale, and the event ranks as one of North America’s most extraordinary weather events in recorded history.»

-Christopher C. Burt: « it’s almost like science fiction at this point. »

– Stu Ostro: « In recent years I’ve documented hundreds of extreme and/or unusual weather events nationally and globally, but this one is even freaking me out with the nature of the air mass, clouds and downpours yesterday and today, and how the sky has looked so tropical, where I live in the Atlanta area – in mid-March. It’s surreal. »

Faits divers:
– Les bourgeons de dizaines de milliers de pommiers ont éclos dans le sud du Québec, un mois plus tôt qu’à l’habitude, les exposant aux risques du gel. Les arbres fruitiers sont encore plus sensibles que les autres à ce type d’événement en raison de leurs structures florales fragiles.

– Dans la région des Grands Lacs, la saison de croissance s’est réellement mise en branle, 5 semaines d’avance, et l’industrie fruitière est sur le qui-vive, certains producteurs installant même d’immenses ventilateurs et chaufferettes sur leur plantation pour tenter de maintenir les températures nocturnes des prochains jours tolérables pour les bourgeons et les fleurs.

– Des pics de pollen ont été enregistrés dans plusieurs états américains et, même au Québec, certaines personnes ont pu ressentir des symptômes d’allergies liés aux pollens de peupliers et de tremble.

– Plusieurs stations de ski alpin du sud du Québec ont dû mettre un terme précoce à leur saison. Un propriétaire a exprimé son incrédulité après avoir vu disparaitre en 4 jours une base de neige de plus de 100 cm.

– Du Wisconsin jusqu’au Québec, des indices de feux de forêts ont été émis par les autorités à une période où la neige recouvre normalement les sols. Dans l’état américain, des centaines d’acres ont été ravagés par les feux de broussailles.

– Plusieurs lacs ont «calés» dans le sud du Québec.  La glace recouvre normalement ces étendues d’eau jusqu’à la mi-avril.

– Autre spectacle inédit en mars: de nombreuses régions de l’est canadien ont vu s’activer des insectes comme les fourmis, moustiques, mouches et papillons.

– L’anticyclone étant plus ou moins centré sur l’aire de répartition de l’érable à sucre, c’est tout le domaine de l’acériculture qui a subi les effets la vague de chaleur.  Les impacts sont variables selon les régions, l’orientation des érablières et l’équipement des acériculteurs, mais vont partout d’importants à graves. Au Québec, un système de gestion collective permet cependant de puiser dans les réserves accumulées lors des années précédentes afin de compenser les pertes d’une années particulière.

– Enfin notons que ce genre de blocage atmosphérique lié à la persistance d’une zone de haute pression partage certaines caractéristiques des vagues de chaleur historiques en Russie (2010) et en France (2003).

L’été en mars: bienvenue dans le futur

Cette année, l’été est arrivé avant le printemps. D’un point de vue météorologique, la semaine que nous sommes en train de vivre en Amérique du Nord est historique.  La masse d’air qui stagne actuellement au-dessus du centre et de l’Est du continent nord-américain est la plus chaude et la plus humide jamais enregistrée en mars. Depuis dimanche, les records de chaleur se battent par centaines de Winnipeg à Montréal et de Memphis à New-York. Beaucoup de ces records ne sont pas seulement battus, mais littéralement pulvérisés, avec des températures souvent plus de 20 degrés au-dessus des moyennes saisonnières. Plutôt agréable en cette période de l’année, un tel écart à la normale se traduirait en juillet, dans le sud du Québec, par des températures de 45°C… Cette vague de chaleur, qui devrait durer encore trois jours, est exceptionnelle à la fois par son intensité, son étendue et sa durée.

Qu’est-ce qui explique un tel phénomène?  Comme pour n’importe quel événement météorologique, plusieurs causes sont en jeu, agissant à de multiples niveaux. L’élément central ici est le courant-jet, qui se contorsionne actuellement  au-dessus de l’Ouest américain et qui, remontant jusqu’au nord de l’Ontario et du Québec, permet une remontée massive d’air en provenance de la région du Golfe du Mexique. Le courant-jet, caractérisé par des vents puissants en haute-altitude, marque la frontière entre les masses d’air arctiques et sub-tropicales. La configuration extrême du courant-jet est présentement influencée par la présence d’un épisode La Nina dans les eaux du Pacifique Est, ainsi que par une phase positive de l’oscillation nord-atlantique.

Mais la configuration particulière de ces phénomènes climatiques, facteurs de la variabilité naturelle du climat, saurait difficilement causer par elle-même un événement aussi extrême sans l’énergie supplémentaire accumulée par la Terre en réaction à l’intensification de l’effet de serre. Si la nature lente et globale des changements climatiques fait en sorte que tout lien avec un événement ponctuel ne sera jamais qu’indirect, il est cependant bien documenté aujourd’hui que la fréquence des événements de température extrême est en augmentation depuis 30 ans.

Joyeux équinoxe d’été à tous!

Le climatologue émérite James Hansen sur TED Talks

Comptant à son actif près de 200 articles scientifiques publiés depuis les années 1960, le climatologue et directeur du Goddard’s Institute for Space Studies de la NASA James Hansen est considéré comme l’un des plus importants experts de l’humanité sur la question des changements climatiques. Voici une allocution récente présentée par ce scientifique émérite et grand-père engagé:

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Au cours des années 1980 et 1990, Hansen a régulièrement été interpellé par les instances politiques américaines afin que ses connaissances servent à éclairer la société sur les décisions à prendre relativement au réchauffement global. Ses collaborateurs et lui ont à ces occasions prédit plusieurs effets du réchauffement global aujourd’hui réalisés ou en cours de l’être.  Constatant au fil de toutes ces années l’inertie du système relativement à l’ampleur des enjeux, ce scientifique a priori discret a fini par oser critiquer l’administration américaine de Georges W. Bush en 2004, suite à quoi il a dû subir de multiples tentatives de censure.

Depuis cet épisode, disant agir au nom de ses petits enfants, Hansen a continué d’utiliser sa parole citoyenne pour alerter l’humanité, au moyen de données scientifiques, sur les dangers croissants de l’inaction climatique.  Auréolé d’une autorité scientifique incontestable, il est un des rares climatologues ayant la crédibilité et la volonté nécessaires pour affronter les réactions politiques féroces que suscite une telle « interférence » d’un scientifique sur la place publique.

Page personnelle du Dr James Hansen.

Réchauffement global et sables bitumineux: quelques précisions à propos de l’éditorial de La Presse

La semaine dernière, une étude co-signée par le réputé climatologue canadien Andrew Weaver a défrayé les manchettes. Alors qu’un nombre incalculable de recherches climatiques passe sous le radar des médias traditionnels, la dernière publication de Swart et Weaver a quant à elle reçu une couverture importante, et s’est même vue consacrer un éditorial dans le journal La Presse, au Québec. Pourquoi? Principalement parce qu’elle s’intéresse aux sables bitumineux de l’Alberta: les deux auteurs y tentent en effet de quantifier le potentiel de réchauffement global lié aux différents types de carburants fossiles. Voici un certain nombre d’imprécisions dans le texte éditorial de M. Pratte qui nous apparaissent pertinentes à éclaircir.

Précision 1. D’abord un mot sur l’objectif même de l’étude des deux climatologues. Tel qu’ils l’écrivent dans le résumé de leur article, le but de leur analyse est de situer le potentiel de réchauffement des carburants fossiles relativement à l’objectif convenu au niveau international de limiter le réchauffement global à 2°C. C’est là le sens même de leur démarche. Étonnamment, le seuil critique de 2°C est complètement absent du commentaire de l’éditorialiste. Les potentiels de réchauffement des divers types de carburants fossiles n’y sont évoqués qu’en relation les uns avec les autres et en lien avec leur potentiel total, sans jamais être reliés avec le seuil de réchauffement jugé critique par la communauté internationale.On s’empresse par exemple de mentionner que l’impact potentiel des sables bitumineux serait 30 fois moins important que celui du charbon, sans dire qu’une telle combustion de toutes les réserves de charbon impliquerait un réchauffement d’environ15°C (!), pas exactement un point de référence judicieux…

Quelques informations supplémentaires à propos de la limite de 2°C.  D’abord, il faut savoirqu’elle se réfère à la température globale pré-industrielle. Et depuis cette époque, la température a déjà augmenté de 0,8°C.  Il ne manque donc plus que 1,2°C avant de l’atteindre. Mais en réalité, nous en sommes encore plus près. Parce que dans les sciences du climat, il faut toujours compter sur un joueur essentiel, au coeur de la dynamique climatique: l’océan global.  L’immense inertie thermique des océans, leur capacité à stocker de l’énergie, fait en sorte que nous sommes déjà assurés que la température va grimper d’un autre 0,6 °C, même si nous cessons demain matin toute émission de gaz à effet de serre. Notre budget restant d’émissions de GES ne correspond donc qu’à un réchauffement de 0,6°C.  C’est en raison de cette mince marge de manoeuvre que l’Agence Internationale de l’Énergie a récemment interpellé la communauté internationale: selon son dernier rapport, il ne reste plus que 5 ans pour infléchir la trajectoire des émissions humaines si l’on veut être en mesure d’atteindre l’objectif.

Précision 2.  M. Pratte ouvre son texte en écrivant que selon l’étude, « si tout le pétrole contenu dans les sables bitumineux canadiens était consommé », cela entrainerait une hausse de la température terrestre de 0,03°C.  C’est inexact. Le papier de Swart et Weaver conclut en fait que la consommation de tout ce pétrole produirait une hausse de 0,36°C. Les auteurs sont pourtant très clairs là-dessus.  Le chiffre de 0,03 réfère plutôt à la consommation des réserves économiquement viables, jugées comme tel dans le contexte actuel.

Précision 3.  Les climatologues sont aussi explicites sur le fait que leurs calculs tiennent seulement compte de la consommation du pétrole bitumineux et n’incluent pas l’énergie qui est requise pour l’extraire et le produire (qui est encore plus grande que celle requise pour le pétrole conventionnel).  Bien qu’elle ne soit pas incluse dans la publication scientifique elle-même, les auteursproduisent cependant une évaluation de ces émissions supplémentaires, chiffrées à 17%. Cette nuance importante est absente de l’éditorial. Au final, l’augmentation de température liée à la production et à la consommation du pétrole albertain est donc évaluée à en environ 0,42°C.

Précision 4. M. Pratte écrit que cette étude « change la donne ». C’est inexact. Il n’y a pas de révolution scientifique ici. Aucun expert n’est tombé en bas de sa chaise en lisant l’article de Weaver. Les deux collègues ont simplement précisé des quantités dont l’ordre de grandeur était déjà grossièrement estimé. Cette analyse ne signifie pas, comme semble le sous-entendre M. Pratte, que l’on se rend compte tout à coup que l’impact des sables bitumineux est moins grand qu’on ne le croyait. Au contraire.

Précision 5.  L’éditorialiste de La Presse cite une phrase du Dr Waever estimant que le charbon constitue un problème encore plus important que les sables bitumineux. Il est clair en effet que le charbon, en raison de l’ampleur de sa disponibilité, constitue la plus grave menace pour la stabilité climatique et que son utilisation doit aussi cesser. Dans le contexte de l’éditorial cependant, en reconnaissant le problème du charbon, les propos du climatologue paraissent dédramatiser les risques liés à l’exploitation des sables de l’Athabasca. Une telle perception ne représente pourtant pas du tout la conclusion de son travail.  Voici plutôt ce que concluent les auteurs à propos de leur étude:  « To keep warming below 2°C will require a rapid transition to non-emitting renewable energy sources, while avoiding commitments to infrastructure that supports fossil fuel dependence ». (Garder le réchauffement sous le seuil de 2°C requiert une transition rapide vers des énergies renouvelables sans émissions tout en évitant de s’engager envers des infrastructures qui perpétuent notre dépendance aux carburants fossiles.)

Pour ce qui est de la réflexion plus générale du Dr Weaver à propos du bitume albertain, on peut jeter un coup d’oeil ici:

Précision 6.  Enfin, l’argument selon lequel les sables bitumineux ont un potentiel total de réchauffement moins grand que le charbon ou le gaz naturel fait non seulement abstraction de limite de 2°C, mais aussi du fait que chaque région du monde possède ses propres carburants fossiles que les forces économiques souhaitent exploiter. Comment le Canada et les États-Unis pourront-ils demander aux autres pays de ne pas extraire leur charbon ou leur gaz, alors qu’ils s’affairent à mettre en place une infrastructure colossale pour exploiter le pétrole non-conventionnel? En terme de politique internationale, raisonner de la sorte court-circuite toute chance de limiter le réchauffement global à 2°C. Dans la lutte aux changements climatiques, ce sont les carburants fossiles dans leur ensemble qui doivent être considérés.  Et le seul moyen de limiter l’augmentation de la température à 2°C, c’est de mettre rapidement fin à notre dépendance à leur égard, quel que soit leur type.

On peut souhaiter le développement des sables bitumineux. On peut souhaiter limiter le réchauffement à 2°C.  Mais à moins de se leurrer soi-même, on ne peut pas souhaiter les deux en même temps.

Nous réchauffons la Terre: le consensus scientifique

Toutes les organisations scientifiques nationales et internationales de la Terre font consensus sur l’existence du réchauffement global anthropogénique. Les académies nationales des sciences du monde sont unanimes à constater la gravité de la situation et les dangers encourus par l’humanité (voyez les différentes déclarations citées à droite de la page d’accueil). À travers ces entités, c’est la voix de la raison et de l’intelligence humaine qui s’exprime.

Si l’ensemble des organisations scientifiques du monde s’accorde sur cette position, c’est que la quasi-totalité (97%) des experts du climat, ceux qui publient de vraies recherches dans les revues scientifiques, s’entend également. Et s’il y a un consensus des experts, c’est qu’il y a un consensus des données. Des données qui ont été accumulées par des décennies d’exploration et d’observations systématiques, qui ont été analysées par des milliers de chercheurs de partout dans le monde depuis de nombreuses années.  Il est intéressant par ailleurs de noter que les 3% qui ne sont pas encore convaincus, tout en assumant, par leur doute résiduel, une certaine fonction hyper-critique du processus de vérification scientifique, n’ont en revanche mis sur la table aucune hypothèse alternative crédible pour expliquer le réchauffement des 30 dernières années.

Dans un contexte scientifique aussi consensuel, et au sujet d’une situation globale aussi importante, il est extrêmement troublant de constater l’écart de perception qui existe entre la communauté scientifique et le reste de la société en Amérique du Nord. Mais qu’est-ce qui peut bien expliquer un tel écart?  Je vous laisse réfléchir là-dessus!

Nombre de chercheurs convaincus et non-convaincus par les données sur l'existence du réchauffement global anthropogénique en fonction du nombre d'articles scientifiques climatiques publiés (Anderegg 2010).

Réponse à la question de sondage "Pensez-vous que l'activité humaine contribue significativement au changement des températures moyennes globales?" (Doran 2009) Les données de la catégorie "General public" proviennent d'un sondage Gallup 2008.