Cette année, l’été est arrivé avant le printemps. D’un point de vue météorologique, la semaine que nous sommes en train de vivre en Amérique du Nord est historique. La masse d’air qui stagne actuellement au-dessus du centre et de l’Est du continent nord-américain est la plus chaude et la plus humide jamais enregistrée en mars. Depuis dimanche, les records de chaleur se battent par centaines de Winnipeg à Montréal et de Memphis à New-York. Beaucoup de ces records ne sont pas seulement battus, mais littéralement pulvérisés, avec des températures souvent plus de 20 degrés au-dessus des moyennes saisonnières. Plutôt agréable en cette période de l’année, un tel écart à la normale se traduirait en juillet, dans le sud du Québec, par des températures de 45°C… Cette vague de chaleur, qui devrait durer encore trois jours, est exceptionnelle à la fois par son intensité, son étendue et sa durée.
Qu’est-ce qui explique un tel phénomène? Comme pour n’importe quel événement météorologique, plusieurs causes sont en jeu, agissant à de multiples niveaux. L’élément central ici est le courant-jet, qui se contorsionne actuellement au-dessus de l’Ouest américain et qui, remontant jusqu’au nord de l’Ontario et du Québec, permet une remontée massive d’air en provenance de la région du Golfe du Mexique. Le courant-jet, caractérisé par des vents puissants en haute-altitude, marque la frontière entre les masses d’air arctiques et sub-tropicales. La configuration extrême du courant-jet est présentement influencée par la présence d’un épisode La Nina dans les eaux du Pacifique Est, ainsi que par une phase positive de l’oscillation nord-atlantique.
Mais la configuration particulière de ces phénomènes climatiques, facteurs de la variabilité naturelle du climat, saurait difficilement causer par elle-même un événement aussi extrême sans l’énergie supplémentaire accumulée par la Terre en réaction à l’intensification de l’effet de serre. Si la nature lente et globale des changements climatiques fait en sorte que tout lien avec un événement ponctuel ne sera jamais qu’indirect, il est cependant bien documenté aujourd’hui que la fréquence des événements de température extrême est en augmentation depuis 30 ans.
La semaine dernière, une étude co-signée par le réputé climatologue canadien Andrew Weaver a défrayé les manchettes. Alors qu’un nombre incalculable de recherches climatiques passe sous le radar des médias traditionnels, la dernière publication de Swart et Weaver a quant à elle reçu une couverture importante, et s’est même vue consacrer un éditorial dans le journal La Presse, au Québec. Pourquoi? Principalement parce qu’elle s’intéresse aux sables bitumineux de l’Alberta: les deux auteurs y tentent en effet de quantifier le potentiel de réchauffement global lié aux différents types de carburants fossiles. Voici un certain nombre d’imprécisions dans le texte éditorial de M. Pratte qui nous apparaissent pertinentes à éclaircir.
Précision 1. D’abord un mot sur l’objectif même de l’étude des deux climatologues. Tel qu’ils l’écrivent dans le résumé de leur article, le but de leur analyse est de situer le potentiel de réchauffement des carburants fossiles relativement à l’objectif convenu au niveau international de limiter le réchauffement global à 2°C. C’est là le sens même de leur démarche. Étonnamment, le seuil critique de 2°C est complètement absent du commentaire de l’éditorialiste. Les potentiels de réchauffement des divers types de carburants fossiles n’y sont évoqués qu’en relation les uns avec les autres et en lien avec leur potentiel total, sans jamais être reliés avec le seuil de réchauffement jugé critique par la communauté internationale.On s’empresse par exemple de mentionner que l’impact potentiel des sables bitumineux serait 30 fois moins important que celui du charbon, sans dire qu’une telle combustion de toutes les réserves de charbon impliquerait un réchauffement d’environ15°C (!), pas exactement un point de référence judicieux…
Quelques informations supplémentaires à propos de la limite de 2°C. D’abord, il faut savoirqu’elle se réfère à la température globale pré-industrielle. Et depuis cette époque, la température a déjà augmenté de 0,8°C. Il ne manque donc plus que 1,2°C avant de l’atteindre. Mais en réalité, nous en sommes encore plus près. Parce que dans les sciences du climat, il faut toujours compter sur un joueur essentiel, au coeur de la dynamique climatique: l’océan global. L’immense inertie thermique des océans, leur capacité à stocker de l’énergie, fait en sorte que nous sommes déjà assurés que la température va grimper d’un autre 0,6 °C, même si nous cessons demain matin toute émission de gaz à effet de serre. Notre budget restant d’émissions de GES ne correspond donc qu’à un réchauffement de 0,6°C. C’est en raison de cette mince marge de manoeuvre que l’Agence Internationale de l’Énergie a récemment interpellé la communauté internationale: selon son dernier rapport, il ne reste plus que 5 ans pour infléchir la trajectoire des émissions humaines si l’on veut être en mesure d’atteindre l’objectif.
Précision 2. M. Pratte ouvre son texte en écrivant que selon l’étude, « si tout le pétrole contenu dans les sables bitumineux canadiens était consommé », cela entrainerait une hausse de la température terrestre de 0,03°C. C’est inexact. Le papier de Swart et Weaver conclut en fait que la consommation de tout ce pétrole produirait une hausse de 0,36°C. Les auteurs sont pourtant très clairs là-dessus. Le chiffre de 0,03 réfère plutôt à la consommation des réserves économiquement viables, jugées comme tel dans le contexte actuel.
Précision 3. Les climatologues sont aussi explicites sur le fait que leurs calculs tiennent seulement compte de la consommation du pétrole bitumineux et n’incluent pas l’énergie qui est requise pour l’extraire et le produire (qui est encore plus grande que celle requise pour le pétrole conventionnel). Bien qu’elle ne soit pas incluse dans la publication scientifique elle-même, les auteursproduisent cependant une évaluation de ces émissions supplémentaires, chiffrées à 17%. Cette nuance importante est absente de l’éditorial. Au final, l’augmentation de température liée à la production et à la consommation du pétrole albertain est donc évaluée à en environ 0,42°C.
Précision 4. M. Pratte écrit que cette étude « change la donne ». C’est inexact. Il n’y a pas de révolution scientifique ici. Aucun expert n’est tombé en bas de sa chaise en lisant l’article de Weaver. Les deux collègues ont simplement précisé des quantités dont l’ordre de grandeur était déjà grossièrement estimé. Cette analyse ne signifie pas, comme semble le sous-entendre M. Pratte, que l’on se rend compte tout à coup que l’impact des sables bitumineux est moins grand qu’on ne le croyait. Au contraire.
Précision 5. L’éditorialiste de La Presse cite une phrase du Dr Waever estimant que le charbon constitue un problème encore plus important que les sables bitumineux. Il est clair en effet que le charbon, en raison de l’ampleur de sa disponibilité, constitue la plus grave menace pour la stabilité climatique et que son utilisation doit aussi cesser. Dans le contexte de l’éditorial cependant, en reconnaissant le problème du charbon, les propos du climatologue paraissent dédramatiser les risques liés à l’exploitation des sables de l’Athabasca. Une telle perception ne représente pourtant pas du tout la conclusion de son travail. Voici plutôt ce que concluent les auteurs à propos de leur étude: « To keep warming below 2°C will require a rapid transition to non-emitting renewable energy sources, while avoiding commitments to infrastructure that supports fossil fuel dependence ». (Garder le réchauffement sous le seuil de 2°C requiert une transition rapide vers des énergies renouvelables sans émissions tout en évitant de s’engager envers des infrastructures qui perpétuent notre dépendance aux carburants fossiles.)
Pour ce qui est de la réflexion plus générale du Dr Weaver à propos du bitume albertain, on peut jeter un coup d’oeil ici:
Précision 6. Enfin, l’argument selon lequel les sables bitumineux ont un potentiel total de réchauffement moins grand que le charbon ou le gaz naturel fait non seulement abstraction de limite de 2°C, mais aussi du fait que chaque région du monde possède ses propres carburants fossiles que les forces économiques souhaitent exploiter. Comment le Canada et les États-Unis pourront-ils demander aux autres pays de ne pas extraire leur charbon ou leur gaz, alors qu’ils s’affairent à mettre en place une infrastructure colossale pour exploiter le pétrole non-conventionnel? En terme de politique internationale, raisonner de la sorte court-circuite toute chance de limiter le réchauffement global à 2°C. Dans la lutte aux changements climatiques, ce sont les carburants fossiles dans leur ensemble qui doivent être considérés. Et le seul moyen de limiter l’augmentation de la température à 2°C, c’est de mettre rapidement fin à notre dépendance à leur égard, quel que soit leur type.
On peut souhaiter le développement des sables bitumineux. On peut souhaiter limiter le réchauffement à 2°C. Mais à moins de se leurrer soi-même, on ne peut pas souhaiter les deux en même temps.
Depuis février 1985, il n’y a pas eu un seul mois où la température globale a été plus froide que la normale du XXe siècle. Quand on connaît l’importante variabilité naturelle du climat, c’est plutôt impressionnant. Dans son dernier rapport annuel, la NOAA l’exprime en termes d’années:
L’année 2011 marque la 35e année consécutive, depuis 1976, où la température est supérieure à la normale.
Le studio de visualisation scientifique de la NASA a produit une animation qui nous permet d’observer la tendance sur une carte plutôt qu’un graphique:
Désormais, lorsqu’un événement météorologique extrême se produit, dans les médias comme dans les conversations, la question se pose systématiquement: est-ce la faute du réchauffement global? En général, dans l’état actuel des connaissances, la réponse scientifique typique se décline à peu près de la manière suivante:
Il n’est jamais possible d’attribuer aux changements climatiques la responsabilité d’un événement en particulier puisque la climatologie s’exprime sur des tendances à long terme.
Chaque événement particulier s’explique par un éventail enchevêtré de causes spécifiques, aussi bien rapprochées qu’éloignées de lui dans l’espace et dans le temps.
Il y a toujours eu des événements extrêmes.
La science des changements climatiques prévoit cependant depuis plusieurs années que la hausse des températures, via l’accroissement de l’évaporation des sols et des océans, entraînera une augmentation des sécheresses et des précipitations intenses, selon les régions.
À partir de cette réponse scientifiquement rigoureuse, il ne semble donc pas possible d’établir de lien ferme entre réchauffement et événement extrême, même si la science du climat prédit pourtant l’augmentation de certains d’entre eux. Pour faire le lien, c’est non pas à un seul événement qu’il faut s’attarder, mais à un ensemble d’événements répartis dans la durée. La bonne question est donc: «Y a-t-il augmentation des événements extrêmes dans les dernières décennies?» C’est à cette question qu’on voulu répondre Hansen, Mato et Ruedy dans une de leur plus récentes études, en s’attardant spécifiquement aux événements de températures extrêmes. Les deux climatologues ont voulu quantifier l’évolution des anomalies de température au cours des dernières décennies en les catégorisant en « unités de déviation standard », plus communément appelés écart-type (σ).
Leur travail met ainsi en lumière l’apparition d’une nouvelle catégorie d’événement à peu près inexistant il y a 30 ans et couvrant maintenant environ 10% des surfaces émergées en juillet-août: les chaleurs triple-sigma. Il s’agit d’anomalies de température s’écartant de plus de trois écarts-types de la courbe normale de distribution du climat d’une région donnée. Les cartes de températures publiées par les chercheurs montrent bien l’émergence récente de ces chaleurs extrêmes. Leur conclusion: «Thus there is no need to equivocate about the summer heat waves in Texas in 2011 and Moscow in 2010, which exceeded 3σ – it is nearly certain that they would not have occurred in the absence of global warming. If global warming is not slowed from its current pace, by mid-century 3σ events will be the new norm and 5σ events will be common.»
Dans une courbe distribution normale, 68% des anomalies (écarts à la normale) se classent à l'intérieur du premier écart-type relativement à la valeur moyenne, 27% entre 1σ et 2σ et 4% entre 2σ et 3σ. Seulement 0,2% des événements s'écarte de plus de 3σ de la moyenne.
Une autre étude s’intéressant à cette question ici.
L’analyse préliminaire des données climatiques pour 2011 indiquent que cette année s’inscrira au 10e rang des années les plus chaudes relevées depuis le début des observations instrumentales (1850). Les 13 années les plus chaudes de l’histoire ont maintenant été enregistrées dans les 15 dernières années.
Particulièrement notable est le fait que 2011 représente l’année La Niña la plus chaude d’entre toutes. La Niña est un phénomène cyclique caractérisé par une basse température des eaux de surface du Pacifique équatorial qui, comme son frère El Niño, exerce une influence importante sur le climat annuel de la planète. En terme de température globale, les années La Niña sont toujours plus froides que les années qui les précèdent ou les suivent. L’épisode actuel est le plus intense des 60 dernières années. Malgré cela, la température moyenne de la Terre a été 0,41°C plus chaude que la moyenne des années 1960-1990, établie à 14°C.